Lors de l’exécution d’un contrat, si des tensions apparaissent entre les parties, la question de la poursuite de la relation contractuelle se pose. Le droit prévoit des mécanismes pour encadrer ces situations, notamment la résolution unilatérale du contrat par le créancier en cas d’inexécution de ses obligations par le débiteur. Toutefois, avant de procéder à cette résolution, le créancier est généralement tenu de mettre en demeure le débiteur défaillant.
C’est précisément autour de cette obligation et de ses exceptions que s’est cristallisé le litige opposant les sociétés Calminia et Sodileve. L’arrêt de la Cour de Cassation, rendu le 18 octobre 2023, constitue une occasion de revisiter les conditions et limites de la résolution unilatérale du contrat, et plus particulièrement la nécessité ou non de la mise en demeure préalable.
Cour de Cassation, Chambre Commerciale, Financière et Économique, du 18 octobre 2023
Faits et contexte du litige
La société Calminia, spécialisée dans la taille et le façonnage du calcaire et du marbre, a fait appel aux services de la Société de distribution et installation de matériel de levage et élévation (Sodileve), spécialisée dans l’installation et l’entretien de machines et équipements mécaniques, durant plusieurs années. Cependant, à la suite d’une prestation de maintenance en décembre 2016, des désaccords et des tensions sont survenus entre les deux sociétés. La société Sodileve a par la suite décidé unilatéralement de ne pas poursuivre sa prestation et a demandé le paiement de factures.
Problématique juridique
La principale question soulevée était celle de savoir si le comportement du dirigeant de la société Calminia justifiait la résolution unilatérale du contrat par la société Sodileve sans mise en demeure préalable, conformément aux articles 1224 et 1226 du code civil.
Décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a décidé en faveur de la société Sodileve, justifiant son retrait de l’exécution du contrat en raison du comportement inacceptable du dirigeant de la société Calminia.
Moyens invoqués devant la Cour de cassation
La société Calminia a argué que la rupture du contrat n’avait été précédée d’aucun manquement grave de sa part justifiant une résolution unilatérale, et que Sodileve n’avait pas effectué de mise en demeure préalable, comme le stipule l’article 1226 du code civil.
Décision de la Cour de Cassation
La Cour de Cassation, après avoir examiné les faits et les preuves présentées, a confirmé la décision de la Cour d’appel. Elle a estimé que le comportement du dirigeant de la société Calminia, caractérisé par des propos insultants et une attitude inappropriée, avait rendu impossible la poursuite des relations contractuelles. Ainsi, dans ce contexte particulier, la mise en demeure préalable aurait été vaine. La société Sodileve était donc en droit de résoudre unilatéralement le contrat sans mise en demeure préalable.
Portée et conséquences de la décision
L’article 1226 du code civil prévoit que le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Cependant, cette résolution unilatérale doit être précédée d’une mise en demeure adressée au débiteur défaillant, lui enjoignant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
En principe, sauf urgence, la résolution ne peut pas être immédiate (Cour de cass. 1 juin 2022 – n° 20-21.551), et le respect d’un délai de préavis peut parfois être exigé (Cour. de cass. 14 novembre 2018 – n° 17-23.135).
La mise en demeure constitue ainsi une formalité préalable permettant de prévenir le débiteur d’une éventuelle résolution du contrat et de lui donner la possibilité de remédier à ses manquements.
Ce n’est qu’à défaut d’exécution de la mise en demeure que le créancier peut notifier la rupture du contrat à son débiteur.
L’exception à la règle : l’inutilité de la mise en demeure
La cour vient apparemment d’apporter une exception. Il s’agit de situations exceptionnelles où cette mise en demeure « n’a cependant pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine ». Cette disposition introduit une certaine souplesse dans le mécanisme de la résolution unilatérale, en admettant que dans certaines situations, la mise en demeure ne remplirait pas sa fonction.
La Cour consacre ici une approche pragmatique. Elle reconnaît que dans certaines situations, la mise en demeure, loin d’être une solution, n’a pas de sens
Cette jurisprudence invite les entreprises à la prudence. Si une des parties démontre un comportement particulièrement répréhensible ou de mauvaise foi, elle risque de voir le contrat résolu unilatéralement, sans même avoir la possibilité de remédier à ses manquements.
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