L’abus de dépendance économique est prévu au titre des pratiques anticoncurrentielles de l’article L. 420-2 du Code de commerce qui prévoit que : « Est prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. »
Il s’agit pour une entreprise de profiter de la faiblesse relative d’une ou plusieurs autres entreprises partenaires aux fins obtenir d’elles des avantages non dus ou pour lui imposer des conditions défavorables en la soumettant à des déséquilibres significatifs dans les droits et les obligations.
Cet abus est considéré comme une pratique anti-concurrentielle au même titre que l’abus de position dominante. A la différence, de l’abus de position dominante qui nécessite une domination absolue sur le marché, l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique n’exige qu’une domination relative d’une entreprise à l’égard de l’autre.
Créer au départ pour lutter contre certaines pratiques de la grande distribution, l’abus de dépendance économique peine à être reconnu par les juridictions compte tenu de ses conditions d’applications très strictes, notamment liées à la qualification de l’état de dépendance et à l’impact qu’elle doit produire sur le marché pour être qualifiée.
L’abus de dépendance économique exige la réunion de trois conditions cumulatives : une situation de dépendance économique, un abus de cette dépendance et une atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence.
Une dépendance économique
Les critères de la dépendance économique
L’état de dépendance économique exige quatre conditions qui doivent être simultanément vérifiées (Cons. conc., déc. n°01-D-49, 31 août 2001) à savoir :
- la notoriété de la marque ou produit du dominant ;
- la part de marché du dominant ;
- la part représentée par les produits du dominant dans le chiffre d’affaires de son partenaire ;
- l’absence de solution équivalente aux relations contractuelles nouées (Cons. conc. 11 sept. 2001, n° 01-D-42)
Cette dernière condition (supprimée de l’article L.420-2 du code de commerce par la loi NRE n° 2001-420 du 15 mai 2001) continue d’être exigée tant par la Cour de cassation que par l’Autorité de la concurrence (Aut. conc., déc. n°14-D-07, 23 juill. 2014 ; Com. 3 mars 2004, n° 02-14.529 ; Cass. com., 9 avr. 2002, n°00-13.921).
L’entreprise en état de dépendance devra démontrer qu’il n’existe aucune solution équivalente pour poursuivre son activité. Les juges ont une interprétation restrictive de ce critère et le considèrent comme l’élément essentiel de l’état de dépendance. « L’état de dépendance économique se définit, pour un distributeur, comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise. (Cass. Com., 12 février 2013, pourvoi no 12-13.603 ; voir également Cass. Com., 3 mars 2004, pourvoi no 02-14529). Cette condition s’identifie à celle d’absence de solution alternative équivalente, qui constitue donc une condition nécessaire et suffisante à la caractérisation d’une relation de dépendance. » (CA Paris, 30 sept. 2021, n°20/07846).
La difficulté réside dans la preuve de cette absence de solution équivalente puisque l’entreprise qui invoque une situation de dépendance doit démontrer qu’elle a tenté de trouver une solution alternative ou être dans l’impossibilité d’en trouver une. (Par exemple : NUMERICABLE / France TELECOM (Cass. com., 18 avr. 2000, n°99-13.627) ou encore ARTE France / MEDIAMETRIE (CA Paris, 15 mai 2008, n°05/23026).
Il est à préciser que l’existence d’une clause d’exclusivité, n’est pas suffisante pour caractériser ce critère.
Les différents types de dépendances économiques
On distingue généralement deux catégories de dépendance économique, la dépendance à l’égard du fournisseur et la dépendance à l’égard du distributeur.
La dépendance à l’égard du fournisseur est invoquée par les distributeurs en raison de refus de vente de certains produits ou en raison de pratiques discriminatoires. Il s’agit de la « dépendance pour cause d’assortiment ». Cette dépendance intervient souvent en raison de la forte notoriété d’un produit dont un distributeur peut difficilement se passer. Dans ce cas, le commerçant ne pourra exercer normalement son activité sans proposer à la vente les produits d’une marque disposant d’une notoriété particulière et subira ainsi une dépendance économique. Toutefois, ce ne sera pas le cas si la marque est substituable à une autre pour les consommateurs (Cons. conc., déc. n°03-D-42, 18 août 2003).
La dépendance à l’égard des distributeurs : Si les situations de dépendances économiques visent au départ à réprimer les abus des fournisseurs, celles-ci peuvent également concerner les abus de certains distributeurs. Ce sera notamment le cas de la dépendance « pour cause de puissance d’achat ». Il s’agit de la situation subie par certains producteurs en raison de la puissance d’achat de la distribution. En effet, certains producteurs ne peuvent se soustraire à utiliser une central d’achat et en subissent une forme de dépendance au regard du montant du chiffre d’affaires réalisé via cette centrale d’achat et de la difficulté de mettre en place d’autres débouchées.
D’autre cas peuvent également être relevés, il s’agit de la dépendance en raison des relations contractuelles passées avec un partenaire qui constitue une dépendance pour « cause de relations d’affaires ». Par exemple, ce sera la cas lorsqu’une entreprise s’est spécialisée pour répondre à un besoin spécifique d’un client et qui ne peut se reconvertir au profit d’une autre clientèle compte tenu de la spécificité de l’activité.
Un abus
L’abus suppose un comportement manifestement anormal, déséquilibré ou excessif d’une entreprise à l’égard d’une autre. L’article L.420-2 du code de commerce dresse une liste non-exhaustive de comportement considéré comme abusive :
Il s’agit en l’occurrence :
- du refus de vente ;
- de ventes liées ;
- des pratiques discriminatoires (article L 442-6 du Code de commerce) ;
- des accords de gamme : (minoration de prix imposée par une centrale d’achat à un fournisseur ou obtention de fournitures gratuites, rupture de relations commerciales établies au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées…).
L’abus peut intervenir à tout moment de la relation contractuelle. Lors de la formation ou de l’exécution du contrat. Ce sera le cas du refus de contracter, de la mise en place d’avantages disproportionnés ou abusifs (corbeille de la marié), mais aussi de pratiques discriminatoires et inéquitables. Par exemple, à l’égard d’un transporteur de marchandise ne bénéficiant pas de remise (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 5, Arrêt du 22 octobre 2015, Répertoire général nº 14/0366).
D’une manière plus marginale, la rupture du contrat peut également être condamnée au titre d’un abus de dépendance économique lorsqu’elle est brutale et fondée sur des raisons non objectives/discriminatoires ayant pour effet de déstabiliser le marché du partenaire (Cons. conc., déc. n°04-D-26, 30 juin 2004, Reims Bio, BOCCRF).
L’abus doit être apprécié au regard des circonstances et peut parfois être justifié s’il est nécessaire et proportionné à un objectif légitime.
Une atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence
L’abus doit porter atteinte au fonctionnement ou à la structure du marché. La preuve de ce critère reste difficile à rapporter. Le pourcentage important des ventes de produits n’est pas un argument suffisant à caractériser l’affectation sur le fonctionnement ou la structure de la concurrence (CA Paris, 26 oct. 2016, n°14/08041).
Toutefois, par une décision de 2020, l’Autorité de la concurrence semble avoir infléchi sa position en indiquant que l’affectation du fonctionnement ou de la structure de la concurrence peut être « potentielle ». Celle-ci ajoute qu’elle peut concerner qu’une seule partie du marché et non pas le marché dans son ensemble (Décision Apple, Aut. conc., déc. n°20-D-04, 16 mars 2020, pt 1118).
Sanctions
La victime d’un abus de dépendance économique peut intenter trois actions et ce, de façon cumulative :
Une action devant l’Autorité de la concurrence : l’action introduite par la victime doit porter uniquement sur des faits postérieurs à trois ans. L’Autorité peut prononcer des mesures conservatoires, des injonctions d’abstention ou de modification, mais aussi des sanctions pécuniaires. A noter que celle-ci peut également se saisir d’office.
Une action civile en nullité/ responsabilité : Les juridictions judiciaires peuvent intervenir en référé ou au fond (C. com., art. L. 420-7 ; C. com., art. R. 420-4 et 5). En référé, elles peuvent prononcer des mesures urgentes, conservatoires ou d’instruction (CPC, art. 808 et 809).
Au fond, sur le fondement de l’article L. 420-3 du code de commerce, la victime d’un abus de dépendance économique peut agir en nullité. Cette action aura un effet rétroactif et doit donc être apprécié compte tenu de ses conséquences et notamment de la durée de la relation.
L’action en responsabilité est plus appropriée (art.L.481-1 C.com). La condamnation à des dommages et intérêts nécessite d’établir une faute, un dommage et un lien de causalité. Pour rappel, une pratique anticoncurrentielle est présumée établie de manière irréfragable dès lors que son existence et son imputation ont été constatées par l’Autorité de la concurrence (C. com., art. L. 481-2).
Une action pénale peut aussi être intentée contre toute personne physique ayant pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre des pratiques visées à l’article L. 420-2 (C. com., art. L. 420-6).
Attention, l’abus de dépendance économique au titre du droit de la concurrence ne doit pas être confondu avec la notion prévue par le nouvel article 1143 du code civil portant sur le vice de violence découlant de l’abus de l’état de dépendance dans lequel se trouve un cocontractant.
Le cabinet vous assiste et vous conseille en cas de litige en droit de la concurrence et notamment sur les contentieux liés à un abus de dépendance économique.