La cession de fonds de commerce constitue une opération juridique majeure dans la vie économique. Elle implique non seulement le transfert d’un ensemble d’éléments corporels et incorporels (clientèle, droit au bail, enseigne, matériel, etc.), mais aussi une vigilance particulière quant à la validité des conditions de la vente. En effet, la cession peut être frappée de nullité dans plusieurs hypothèses, avec des conséquences lourdes pour les parties.
Cet article propose une analyse systématique des fondements de nullité, des délais pour agir, des effets attachés à l’annulation, ainsi que des recours ouverts aux parties, en intégrant la jurisprudence et les textes du Code civil et du Code de commerce.
Les fondements possibles de nullité
Vice du consentement : erreur, dol et violence
Conformément au droit commun des contrats (C. civ., art. 1128, 1° et 1130), le consentement doit être donné librement et en connaissance de cause. Trois vices peuvent entacher ce consentement : l’erreur, le dol ou la violence.
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Erreur : elle doit être déterminante (C. civ., art. 1130) et porter sur les qualités essentielles du fonds.
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Dol : il résulte de manœuvres, mensonges ou réticences dolosives. La jurisprudence admet que l’annulation pour dol entraîne la restitution intégrale des sommes versées, sans possibilité pour le vendeur d’opposer l’enrichissement sans cause (Cass. com., 15 janv. 2013, affaire UGC Ciné Cité).
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Violence : plus rare, elle suppose des pressions de nature à vicier le consentement.
La nullité est relative : elle protège la partie dont le consentement a été vicié. Elle peut donc être confirmée (C. civ., art. 1182).
Prix « dérisoire ou vil »
Lorsque le prix stipulé est dépourvu de sérieux ou manifestement disproportionné, la cession est nulle (nullité relative). Les tribunaux apprécient souverainement ce caractère dérisoire, souvent à la lumière d’une expertise comptable destinée à établir la valeur du fonds (Cass. com., 14 nov. 2018).
Conditions suspensives potestatives
En application de l’article 1304-2 C. civ., est nulle la cession conclue sous une condition suspensive dont la réalisation ne dépend que de la seule volonté du débiteur (potestativité pure).
En revanche, la condition mixte, dépendant à la fois de la volonté du débiteur et d’un tiers, demeure valable.
Omission ou inexactitude des mentions légales (C. com., art. L. 141-1 et s.)
L’acte de cession doit comporter plusieurs mentions (prix, chiffres d’affaires, bénéfices des trois derniers exercices, état des privilèges et nantissements, etc.). Leur omission ou inexactitude peut fonder une action en nullité.
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Délai : l’action doit être intentée dans l’année (délai préfix, C. com., art. L. 141-3). La jurisprudence est stricte : passé ce délai, la nullité ne peut même plus être invoquée par voie d’exception (Cass. com., 20 mars 2019).
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Exemple : nullité prononcée pour omission du chiffre d’affaires et des bénéfices en cours, avec allocation de dommages-intérêts à l’acquéreur.
Attention, sur ce point il est à préciser que l’article L.141-1 du code de commerce a été abrogé. Lire l’article sur les Mentions obligatoires dans la vente d’un fonds de commerce.
Défaut d’information préalable des salariés (C. com., art. L. 141-23 et s.)
Dans les PME relevant de l’économie sociale et solidaire, le vendeur doit informer ses salariés de la cession projetée afin de leur permettre, le cas échéant, de présenter une offre.
La sanction de la méconnaissance de cette obligation est la nullité de la cession, à la demande de tout salarié, dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de l’information.
Défaut de pouvoir du dirigeant social
Le dirigeant d’une société peut céder le fonds, sauf si cette opération implique une modification statutaire (notamment de l’objet social). Dans ce cas, la cession est nulle, la compétence relevant des associés (Cass. com., 15 mai 2019).
Défaut des formalités de cession du bail : une inopposabilité
Lorsque la cession du droit au bail n’a pas respecté les formalités de l’article 1690 C. civ. (signification ou acceptation par acte authentique), la sanction n’est pas la nullité mais l’inopposabilité au bailleur. L’acquéreur devient alors un occupant sans titre et peut être expulsé.
Les délais pour agir et particularités procédurales
Délai d’un an (préfix)
Pour les omissions ou inexactitudes des mentions légales (C. com., art. L. 141-1 et L. 141-3), le délai est d’un an à compter de la conclusion de l’acte. Il est préfix : aucune interruption ou suspension n’est admise.
Délai de deux mois pour l’information des salariés
L’action ouverte aux salariés se prescrit par deux mois, à compter de la publication de l’avis de cession ou de la publication de la cession de titres (C. com., art. L. 141-25).
Nullités relatives (vice du consentement, prix vil, condition potestative)
Ces nullités se prescrivent par cinq ans à compter du jour où la partie a connu ou aurait dû connaître le vice (C. civ., art. 2224).
Confirmation
La confirmation d’un contrat nul (C. civ., art. 1182) purge le vice et rend la vente valable rétroactivement entre parties, sans effet vis-à-vis des tiers. Elle interdit d’attaquer ultérieurement la cession par action ou par exception.
Les effets de l’annulation
L’anéantissement rétroactif
L’article 1178 C. civ. prévoit que le contrat annulé est réputé n’avoir jamais existé. Chaque partie doit restituer ce qu’elle a reçu.
Ces restitutions opèrent de plein droit, sans qu’il soit nécessaire au juge de les ordonner expressément (Cass. com., 13 nov. 2013).
Sort des clauses contractuelles
L’annulation prive d’effet toutes les clauses de l’acte (clause de dédit, clause pénale, clause limitative de responsabilité). Ces stipulations ne survivent pas à l’anéantissement.
Dommages-intérêts complémentaires
Indépendamment de l’annulation, la partie lésée peut invoquer la responsabilité délictuelle (C. civ., art. 1240 s.) afin d’obtenir réparation d’un préjudice distinct de celui réparé par les restitutions (ex. perte de chance, préjudice commercial, frais financiers).
Occupation du fonds
Aucune indemnité d’occupation n’est due du seul fait de l’utilisation du fonds avant la décision d’annulation. Toutefois, une réparation peut être obtenue sur le terrain de la faute délictuelle si l’une des parties a causé un préjudice particulier.
Droits d’enregistrement
La restitution des droits d’enregistrement suppose une décision judiciaire passée en force de chose jugée. L’administration fiscale exige la production d’un certificat de non-opposition ou d’un acte d’acquiescement.
Les recours pratiques selon les situations
Action en nullité et demandes accessoires
La nullité est en principe prononcée par le juge, mais peut être constatée d’un commun accord (C. civ., art. 1178). L’acquéreur ou le vendeur peut alors solliciter la nullité, la restitution des sommes et, le cas échéant, des dommages-intérêts distincts.
Respect des délais spécifiques
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Mentions obligatoires : agir dans l’année.
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Information salariés : agir dans les deux mois.
À défaut, l’action est irrecevable.
Inopposabilité de la cession de bail
En cas d’irrégularité, l’acquéreur doit régulariser la formalité pour éviter une expulsion.
Confirmation
Si la nullité est relative, la partie protégée peut renoncer à agir, ce qui purge le vice.
Restitutions fiscales
L’acquéreur ou le vendeur doit solliciter l’administration fiscale après la décision définitive, avec justificatifs requis.
Points d’attention et stratégies probatoires
Dol : il doit être prouvé et déterminant. La jurisprudence exige des éléments concrets (documents, mensonges établis, dissimulation de chiffres).
Prix vil : une expertise comptable est souvent incontournable pour caractériser la disproportion.
Conditions suspensives : il convient de distinguer la condition potestative pure (nulle) de la condition mixte (valable).
Mentions légales : l’avocat doit anticiper la rigueur du délai d’un an et son caractère préfix.
Défaut de pouvoir du dirigeant : vérifier si la cession impliquait une modification statutaire.
Conclusion
La nullité cession fonds est un risque réel pour les acteurs d’une opération de transmission. Anticiper les pièges juridiques, bien rédiger l’acte de cession, respecter les formalités légales et se faire accompagner restent les meilleurs moyens d’éviter un litige sur la vente du fonds de commerce. En cas de difficulté, il est impératif de réagir rapidement pour faire valoir ses droits via les procédures judiciaires avec un avocat spécialisé en cession de fonds de commerce.
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