Le droit de suite est une notion juridique qui trouve application tant en droit civil qu’en droit des biens et en matière de propriété intellectuelle. Il permet à un créancier ou à un titulaire de droit de poursuivre son bien ou ses droits, même entre les mains d’un tiers. Ce mécanisme garantit une certaine sécurité juridique et protège les titulaires de droits contre des actes frauduleux ou des détournements. Cet article explore les différentes facettes du droit de suite, ses domaines d’application et ses implications pratiques.
Définition
Le droit de suite est une prérogative qui permet à un titulaire de droit d’exercer son action non seulement contre son débiteur initial, mais également contre tout tiers qui aurait acquis l’objet du droit. Il repose sur un principe fondamental de continuité des droits, qui empêche qu’un bien puisse être soustrait à son véritable propriétaire ou à un créancier garanti par une sûreté.
Ce droit se manifeste principalement dans trois domaines :
- Droit des biens et sûretés : Le créancier bénéficiaire d’une sûreté réelle peut exercer son droit sur le bien concerné, même s’il a changé de mains.
- Droit d’auteur et propriété intellectuelle : Le droit de suite des artistes permet aux auteurs d’œuvres d’art de percevoir un pourcentage sur les reventes successives de leurs créations.
- Droit immobilier : Les servitudes ou certains droits réels suivent le bien, indépendamment des changements de propriétaires.
En matière de sûretés et de créances
Le droit de suite est particulièrement important dans le domaine des sûretés réelles, notamment :
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L’hypothèque : Un créancier hypothécaire peut saisir et faire vendre un bien immobilier grevé d’hypothèque, même s’il a été vendu à un tiers. L’acquéreur doit donc supporter la charge de l’hypothèque et peut être contraint de payer la dette pour éviter la saisie.
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Le gage avec dépossession : Si un débiteur met en gage un bien pour garantir une dette, le créancier gagiste peut le revendiquer, quelle que soit la personne qui le détient. Par exemple, si un bijou est remis en gage à un prêteur sur gages, il pourra être récupéré par le créancier même si le débiteur l’a vendu à un tiers.
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Le nantissement : Lorsqu’un bien incorporel (ex. : un fonds de commerce, des parts sociales, un brevet) est nanti, le créancier nanti peut exercer son droit de suite contre un acquéreur des biens nantis. Par exemple, un banquier ayant pris un nantissement sur un fonds de commerce pourra poursuivre l’acquéreur du fonds en cas de non-paiement de la dette.
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Le privilège du vendeur : Lor d’une cession de fonds de commerce, le vendeur peut inscrire un privilège sur le fonds, ce qui lui permet d’exercer un droit de suite. Cela signifie qu’en cas de revente du fonds, il peut saisir le fonds de commerce entre les mains du nouvel acquéreur pour récupérer le prix qui lui est dû.
- Les sûretés sur les véhicules (gage sur automobile) : Lorsqu’un véhicule est gagé, le créancier peut le revendiquer même si le débiteur l’a vendu à un tiers sans rembourser la dette. Le nouveau propriétaire risque donc de perdre son bien en cas de saisie.
Ce principe est essentiel pour garantir l’efficacité des garanties réelles et la sécurité des transactions commerciales.
En matière de propriété intellectuelle : Le cas du droit d’auteur
En droit de la propriété intellectuelle, le droit de suite prend une dimension spécifique avec la rémunération des artistes plasticiens et des auteurs d’œuvres graphiques et plastiques. Selon l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit permet aux artistes et à leurs héritiers de percevoir un pourcentage du prix de revente de leurs œuvres lorsqu’elles sont revendues par un professionnel du marché de l’art.
Ce droit vise à assurer aux créateurs un bénéfice continu sur la valorisation de leurs œuvres, même après la première vente. Il s’applique notamment aux ventes réalisées dans des maisons de ventes aux enchères ou des galeries d’art.
En droit immobilier
Dans le domaine immobilier, le droit de suite s’applique principalement aux servitudes et aux charges réelles qui grèvent un bien. Une servitude de passage attachée à un terrain continue de s’appliquer, même après un changement de propriétaire.
Ce mécanisme permet d’assurer la continuité des droits réels attachés aux biens immobiliers et d’éviter qu’un nouveau propriétaire ne puisse s’en affranchir.
En outre, dans le cadre d’un contrat de crédit-bail, le crédit-bailleur peut revendiquer le bien en cas de non-paiement des loyers, même si l’entreprise crédit-preneuse tente de céder le bien à un tiers.
Enfin, en matière de saisie immobilière. Un créancier ayant engagé une procédure de saisie immobilière peut poursuivre cette saisie même si le bien est vendu entre-temps. Le nouveau propriétaire devra supporter la vente forcée du bien.
Limites et contestations
Malgré son importance, le droit de suite connaît certaines limites :
- Opposabilité aux tiers : Pour être efficace, le droit de suite doit être régulièrement publié ou inscrit dans des registres appropriés (registre foncier pour les hypothèques, registre du commerce pour le nantissement).
- Protection des acquéreurs de bonne foi : En droit des biens, un tiers ayant acquis un bien sans connaître l’existence d’une sûreté ou d’un droit de suite pourrait, sous certaines conditions, être protégé contre l’action du titulaire initial.
- Prescription : L’exercice du droit de suite est soumis aux délais de prescription applicables aux actions en revendication, qui varient selon les matières (prescription de 30 ans en matière immobilière, 5 ans pour le droit de suite des artistes, etc.).
Conclusion
Le droit de suite est un mécanisme qui assure la protection des titulaires de droits en leur permettant d’exercer leur prérogative sur un bien, quel que soit son détenteur actuel. Que ce soit en matière de sûretés, de droit d’auteur ou d’immobilier, il constitue une garantie essentielle pour la sécurité juridique et économique des transactions.
Toutefois, son exercice doit respecter certaines formalités et tenir compte des protections accordées aux tiers de bonne foi. Ainsi, la mise en œuvre du droit de suite nécessite une vigilance particulière afin d’éviter les conflits et d’assurer une application équitable de ce principe fondamental du droit.